Transfert des connaissances tacites et storytelling : l'exemple de la NASA

Alors que le robot spatial Curiosity, se posait sur le sol martien, les responsables de la NASA reconnaissaient qu’il leur serait très difficile d’envoyer de nouveau un vol habité vers la Lune en utilisant les technologies spatiales classiques, des connaissances essentielles du programme Apollo ayant été perdues au fil du temps.

 

La NASA a oublié comment envoyer des hommes sur la Lune !

Bien sûr, toutes les notices et instructions techniques ont été soigneusement classées et archivées, mais le savoir informel des hommes qui ont monté le programme lunaire a disparu avec leur départ à la retraite.
Trucs, astuces, problèmes rencontrés et réponses apportées : de tout cela, rien ne subsiste.
 
Cet exemple édifiant illustre le fait qu’une partie invisible et pourtant essentielle de la connaissance finit par disparaître quand elle est désincarnée.
 

« Nous connaissons tous plus que nous ne pouvons exprimer » (i)

A partir d’un certain niveau d’expertise, chacun d’entre nous n’est plus conscient de l’étendue de ses savoirs : nous les mettons en pratique de façon automatique et intuitive, presque instinctive.
Ces connaissances personnelles qui résident dans la tête de chaque individu et font appel à l’expérience et au savoir-faire sont nommées connaissances tacites.
 
Pour Max Boisot (ii), qui fut l’un des pionniers du management des connaissances, il existe trois catégories de connaissances tacites dans une organisation :

  • Celles qui ne sont pas exprimées, parce que tout le monde les connaît et les considère comme acquises
  • Celles qui ne sont pas formulées, parce que personne ne les comprend entièrement
  • Celles qui restent non explicitées, alors que certaines personnes les comprennent parce que le processus d’explicitation serait trop coûteux pour l’organisation.

 

Transfert des connaissances tacites et storytelling : Retour sur l’origine du programme

 

Le storytelling comme vecteur de transfert des connaissances tacites

Tirant les enseignements de la perte de savoirs sur le programme Apollo, le Dr Edward Hoffman directeur de l’APPL (Academy of Program and Project Leadership) a lancé un programme ambitieux de partage et transfert des connaissances tacites basé sur le storytelling. A partir de 1997, il a commencé à collecter des histoires d’anciens astronautes pour son livre « Projet Management Success Stories : Lessons of Project ».
L’utilisation des méthodes du storytelling a permis de collecter une mutitudes d’histoires exemplaires de la conquête spatiale. Racontées par ceux qui les ont vécues, ces histoires illustrent les décisions complexes rencontrées et mettent l’accent sur les dilemmes à résoudre et les problèmes inattendus qu’il a fallu surmonter.
 

ASK Magazine – la première revue de storytelling dédiée au management de projet

Devant le succès remporté par cette initiative le format du récit a été retenu pour une capitalisation à grande échelle des leçons de l’expérience. Edward Hoffman et le Dr Laufer ont ainsi construit une véritable communauté de partage de savoirs au sein de la NASA. Avec l’aide de la société Edu Tech, ils ont créé une revue dédiée baptisée ASK. Dans chaque numéro de ASK, des ingénieurs retraités ou «seniors » racontent leurs missions, les problèmes auxquels ils ont dû faire face, et comment ils y sont parvenus … ou pas.
 
Cette démarche, menée à l’échelle de la NASA, a permis de développer un nouveau type de dialogue au sein de l’Agence fondé sur le partage et le transfert des connaissances tacites.
 
Comme on le voit à travers cet exemple, les histoires racontées par ceux qui les ont vécues possèdent un pouvoir très singulier. Peut-être parce que depuis la nuit des temps, c’est en créant des histoires que les êtres humains ont découvert des moyens pour réfléchir, organiser et donner un sens au monde.
 
 
(i) Michaël Polanyi – The Tacit Dimension (p 4) 1967- New York: Anchor Books.
Déjà cité à plusieurs reprises, notamment dans ce billet, l’épistémologue hongrois Michaël Polanyi a développé le concept de « tacit knowledge » (connaissances tacites) qui stipule que « we can know more than we can tell ». Pour lui, les connaissances tacites ne peuvent pas être codifiées ; Elles ne peuvent être transmises que par apprentissage et expérience personnelle. Michaël Polanyi est le frère du célèbre économiste Karl Polanyi, auteur de « la grande transformation, aux origines politiques et économiques de notre temps ».

 
(ii) Pour en savoir plus, on se reportera à l’ouvrage majeur de Max Boisot « Knowledge Assets : Securing Competitive Advantage in the Information Economy », Oxford: Oxford University Press (1998) – livre de stratégie qui reçut le Prix Igor Ansoff en 2000.
 
A lire également sur le transfert des connaissances tacites et storytelling
Storytelling management et résilience organisationnelle
Communautés 2.0 et production de connaissances
 
Pour aller plus loin sur le transfert des connaissances tacites et storytelling
– E. Hoffman, A. Laufer T. Post – Shared Voyage: Learning and Unlearning from Remarkable Projects: The NASA History Series
– T. Post – The impact of storytelling on NASA and EduTech
– E. Hoffman, A. Laufer – Project Management Success Stories – Lessons of Project Leadership
 
Pour approfondir le processus de transfert des connaissances tacites
– L. Argote, P. Ingram, P. « Knowledge transfer: A Basis for Competitive Advantage in Firms » in Organizational Behavior and Human Decision Processes – 2000
– I. Nonaka, H. Takeuchi, The Knowledge-Creating Company. New York, NY: Oxford University Press – 1995
 

Transfert des connaissances tacites et storytelling - L'exemple de la NASA

Transfert des connaissances tacites et storytelling – L’exemple de la NASA

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