Biais cognitif et intelligence des risques : les leçons de la catastrophe du Titanic

Biais cognitif signaux faibles et angles morts : comment élargir sa vision périphérique ?

Beaucoup de catastrophes humaines trouvent leur origine dans un mythe d’invulnérabilité ou un biais cognitif. Il s’agit d’une croyance erronée qui autorise tous les excès et peut conduire comme dans le cas du Titanic à un aveuglement fatal.

 
 
Un siècle après son naufrage, le « Titanic » va enfin revivre. Un milliardaire australien a en effet décidé de passer commande au constructeur naval chinois CSC Jinling Shipyard d’une réplique exacte du mythique paquebot. Les seules modifications apportées seront d’ordre technique : la coque sera soudée, et non rivetée, le bateau sera muni d’un bulbe d’étrave réduisant la résistance à la vague, de moteurs diesels et de propulseurs de proue pour une meilleure manœuvrabilité…
 

Titanic. Vous avez dit insubmersible ?

Avec ses frères jumeaux l’Olympic et le Britannic, le Titanic formait une famille de trois paquebots gigantesques qui avaient pour ambition d’écraser la concurrence, et de capter le lucratif marché des émigrants d’Europe vers l’Amérique. Le Titanic représentait alors le plus grand objet flottant jamais construit par l’homme et avec sa coque divisée en 16 compartiments et son système de navigation d’avant garde était présenté par la presse comme quasiment insubmersible. Le projet initial du Titanic conçu par Alexander Carlisle prévoyait 48 canots de sauvetage. Celui-ci pensait que ce nouveau geant des océans devait prévoir autant de canots que nécessaire pour accueillir la totalité des 2223 passagers. Mais son client Bruce Ismay, Président de White Star Line, décida qu’on se contenterait du nombre minimum de canots pour être en règle avec la législation, soit 16 embarcations de sauvetage permettant de contenir au maximum 1176 passagers.
 

Une série inquiétante d’incidents prémonitoires

Pourtant une succession d’incidents intervenus précédant le voyage inaugural auraient dû alerter les autorités de la White Star Line quant à la manoeuvrabilité de sa nouvelle classe de transatlantiques.

  • Le 21 juin 1911, l’Olympic manque de peu de couler le Hollenbeck dans le bassin de remorquage à New-York ;
  • Le 20 septembre 1911 l’Olympic est impliqué dans une grave collision avec le croiseur Hawke à Southampton ;
  • Le 24 février l’Olympic heurte les Bancs de Terre-Neuve et perd à cette occasion une pale d’hélice de propulsion ;
  • Le 10 avril 1912 Partant de Southampton le Titanic évite de justesse la collision avec le paquebot transatlantique New-York.

Au lieu de susciter l’inquiétude sur les risques encourus et d’éveiller une vigilance accrue, cette succession d’incidents renforca paraxolement la confiance et le sentiment d’invincibilité de la compagnie. L’Olympic n’était-il pas sorti indemne d’une collision avec un navire de guerre.
 

L’effet du biais cognitif dans la mésestimation des risques

Ce qui caractérise l’homme dans l’erreur, c’est qu’il croit être dans le vrai. Aussi a-t-il tendance à traiter les signaux qu’il reçoit en fonction de ce qu’il pense et non en fonction de leur contenu (biais cognitif). Qu’une information vienne infirmer son diagnostic et il remettra en cause la chaîne de mesure. Le premier qui comprit que le Titanic allait couler s’appelait Thomas Andrews. C’était l’ingénieur concepteur du navire. Il était le mieux le placé pour en connaître les faiblesses. Il ne ménagea pas sa peine pour essayer de convaincre le commandant Smith des risques encourus. Mais le mythe de l’insubmersibilité du Titanic était définitivement ancré … dans la tête du commandant et des marins, comme dans celles des passagers.
 

Pourquoi est-il difficile de percevoir le signe avant-coureur d’une catastrophe ?

Le signe avant-coureur d’un évènement catastrophique n’est généralement pas perçu parce qu’il est impensable qu’il advienne pour ceux qui vont le subir. Les vigies ne disposaient pas de jumelles réservées aux seuls officiers. Le Titanic voguait à pleine vapeur dans une nuit dépourvue de visibilité. Il fallait que le Titanic arrive à l’heure coûte que coûte pour qu’il en soit question dans la presse du matin. Les bateaux qui croisaient alentour n’avaient cessé de lancer des messages radio prévenant de la présence de barrières de glace. Le chef opérateur Phillips, avait plus urgent à faire que les écouter : il lui fallait de toute urgence transmettre des ordres de bourse pour les passagers à bord. Un des messages d’alerte avait atterri dans la poche du Président Ismay lui même qui n’en avait pas tenu compte. Alors que part enfin le premier SOS, la communication interne est catastrophique. L’insubmersible va couler, mais comment le dire ? comment le croire ? Au bar, des Anglais font de l’humour  » Garçon pas la peine de nous apporter des glaçons, il y en a dehors ». De son côté l’orchestre continue à jouer un ragtime intitulé « Automne ».
 
Karl E. Weick à propos du biais cognitif : « voir ce que nous croyons et ne pas voir ce que nous ne croyons pas est un phénomène central dans la construction de sens (i) ». Celui-ci suggère implicitement que la fiabilité d’une organisation dépend de sa capacité à voir ce que nous avons tendance à ne pas croire. Dans un prochain billet, nous verrons comment la prédisposition à percevoir une menace ou à détecter des signaux faibles significatifs varie essentiellement avec les croyances des acteurs et influe directement sur leur aptitude à réagir de manière efficace en cas de danger.  
 
(i) K. E. Weick « Sensemaking in the organizations » – Foundations for organizational science – Sage publications – 1995 Professeur de psychologie et professeur en sciences de l’organisation à la Ross School of Business de l’Université du Michigan, Karl E. Weick est considéré comme l’un des théoriciens les plus renommés mondialement de la théorie des organisations. L’objet de ses recherches porte sur l’élaboration du sens au sein des organisations.  
 
Pour aller plus loin – P. Ribeiro : Liçoes do Titanic – sobre Riscos e Crises (Lessons from the Titanic on Risk and Crisis) – Reino 2012 – M. Berry : Vigilance et Organisation, les leçons du Titanic in « La Jaune et la Rouge » N° 638 oct 2008 – P. Masson : Titanic – le dossier du Naufrage, Tallandier 1987 – H. Landier : Le Titanic, une leçon pour nos entreprises in « Gérer et Comprendre » n°4 sept 1986

Pour approfondir la notion de biais cognitif : les ennemis de la décision

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